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Tribune-Le dilemme du Président Condé (Par Ibrahima Sanoh)

L’alternance démocratique, voilà qui est aux bouts des lèvres. On la chante partout sans tâcher de dire ce qu’elle signifie. La constitution de 2010 la consacre. La volonté de l’actuel régime de faire adopter une nouvelle constitution pourrait la démolir. L’idée elle-même telle que présentée par ses chantres est une atteinte à l’esprit de la constitution.

Alpha Condé pour avoir porté, même s’il ne l’a expressément pas dit, le projet d’une nouvelle constitution se met dans une posture délicate. Il est dans un labyrinthe. Peut-être s’y dépêtrer nécessiterait-il de faire adopter une nouvelle constitution. Il est des problèmes qui ne se résolvent qu’en les aggravant. Le projet a des avantages pour son porteur ; une constitution n’est pas le fait de tous mais d’un groupe isolable trouvant dans l’œuvre des légistes la réalisation de leurs vœux. Il lui promettra, c’est l’espoir qu’il nourrit, de faire rattraper le temps qu’il a perdu, d’échapper à certains ennuis, de répondre aux bravades qui lui sont lancé.

La nouvelle constitution comme loi d’amnistie

Le régime Condé est décrié pour sa mauvaise gouvernance. Il est accusé de tous les maux surtout de crimes économiques, imprescriptibles selon la constitution. Alpha Condé est accusé d’avoir fait tuer des centaines de militants de l’opposition. Il est accusé de refuser la tenue des procès historiques dont celui du 28 septembre 2009 pour, dit-on, faire diluer avec les atermoiements certaines de ses responsabilités. Cela n’est qu’une partie de son mal.

La coalition des courtisans qu’est la mouvance présidentielle se sait incapable de remporter la prochaine présidentielle à l’issue d’un scrutin dûment constitué par un candidat autre qu’Alpha Condé. Alpha Condé, lui-même, c’est ce que montrent ses agissements, désespère à l’idée de trouver une relève dans son parti et, au-delà, dans la mouvance présidentielle. Il devrait, pour reprendre le mot de Gide, prolonger sa jeunesse en d’autres et reporter sur d’autres son espoir. Ah ! Gide lui-même avait écrit « si je te sens me succéder ».

S’il accepte l’alternance, il aura ouvert la boîte à pandore. Ainsi, débutera pour lui et ses proches des procès interminables et des ennuis. On lui taillera des croupières. Mieux vaut avoir été ancien prisonnier devenu président que de devenir ancien président fait prisonnier, dit-on. Ceux qui aspirent à l’alternance le disent à qui veut l’entendre qu’ils lui feront payer pour chacun de ses manquements. Il sait que la responsabilité pénale d’un dirigeant est très difficile à établir quand il est au pouvoir. Alors a-t-il refusé d’installer la Haute Cour de Justice qui aurait sanctionné ses manquements.

Faire adopter une nouvelle constitution serait alors l’occasion de faire passer une loi qui imposerait aux Guinéens l’oubli de ce qui seraient ses crimes économiques et humains et pis leurs effacements.

La nouvelle constitution comme instrument de rattrapage du temps perdu

Oui, c’est une autre déraison que de prétendre rattraper le temps perdu, dira-t-on. La Guinée est à la quête du temps qu’elle a perdu après soixante années de fourvoiement national. Le Président Condé, à travers la nouvelle constitution, espérerait récupérer le temps précieux que, selon ses termes, l’opposition pour avoir mis les enfants dans la rue et Ebola, lui ont fait perdre.

Il ressemble alors à ce joueur de loto qui, ayant parié le matin, a raté de quelque peu la mise et, le lendemain reprend le pari dans l’espoir de récupérer les sommes qu’il a investies. Contre tous les conseils désintéressés qui lui sont fait pour le bien de sa bourse et sa santé, il continuera à parier jusqu’à sa ruine. C’est cela le sophisme de l’engagement.

Le pouvoir abîme et use. Le Président Condé, bien qu’il veule nous faire croire le contraire est, à ce grand âge du repos, de l’abandon à Dieu et du recueillement, fatigué par ses pugilats interminables et l’exercice du pouvoir dans un pays de cocagne qui manque de tout et où tout est à refaire. Il voudra réaliser ce qu’il n’a pu afin d’être à la hauteur de ses combats historiques. Seulement, le temps trahi aussi. Le dessein de l’homme peut ne pas coïncider au désir de Dieu ; dans ce cas, il faudra se contenter de ce qu’on a sinon s’ensuivra regret. Comment peut-il se reposer quand il sait que l’alternance ne vaudra pas repos pour lui mais ennuis ; quand au quotidien, il est présenté comme celui qui a fait perdre du temps à la Guinée ?

Il voudra espérer réaliser ce qu’il n’a pas pu. Cela requiert une autre chance que la présente constitution ne lui accorde pas . Il a donc besoin d’un passe-droit qui ne s’obtiendra que par la nouvelle constitution. « S’il y a référendum, il y a troisième mandat (chance) », a-t-il dit.

La nouvelle constitution comme la réponse à un défi

Sans nul doute, les aspirants à la magistrature suprême, les plus sérieux, ont créé un front pour, disent-ils, défendre la constitution. A chaque occasion, ils tombent des bravades. Alpha Condé qui est un homme, mû d’émotions aussi positives que négatives, est menacé. Il est mis au défi de prononcer un mot devenu tabou « référendum » .On fait peser sur sa tête une grande menace : celle d’écourter ses jours au palais ou de lui faire porter la responsabilité d’une instabilité sans précédent que ses décisions causeront aussi bien au pays qu’à la sous-région.

Il ne reçoit pas que des menaces de quelques adversaires politiques irréductibles et d’une certaine société civile goguenarde. Quelques gouvernements le défient aussi, même si leurs propos sont quelque peu voilés. C’est cela le Soft Power. On lui déconseille ici et là une pratique qui ternira son image et rendra sa postérité dédaigneuse. Pour relever ces défis, il s’est tourné vers quelques régimes autocrates : Turquie, Russie et Chine, pour y trouver une solidarité. Les Etats-Unis ne l’effraient pas, la France non plus. Il a la Russie et son Président. La question est donc aussi géostratégique. Elle se pose à ces puissances comme suit : faut-il abandonner un régime qui sert les intérêts de vos firmes : Albayrak , RussAll au profit de ceux qui veulent les détruire ( qui appellent à l’alternance démocratique ) ?

A l’hypothèse qu’il eût douté, les risques qui pèsent sur sa tête sont si grands qu’il devra exprimer une certaine virilité pour le bien des partisans de sa cause. S’il avait l’intention de reculer, il s’aperçoit qu’il trahirait ses lieutenants et ses courtisans qui ont mouillé le maillot et la gorge avant le duel auquel appelle son projet : le référendum.

Nous sommes arrivés à une situation de non- retour ; il ne pourra plus revenir sur ses pas. Même si il se sait déraisonnable, pour avoir été défié par ses adversaires, il voudra triompher d’eux. Cette réponse peut revêtir plusieurs formes : leur empêchement par des subterfuges à diriger afin de jouir du pays ou l’entêtement à réussir le projet auquel ils sont opposés. On est tombé dans le manichéisme et cette question si importance est devenue une petite affaire de fierté personnelle des uns et des autres, d’honneur, de virilité. Pis une opposition entre deux cas. Il avait dessiné cette carte et n’est-ce pas qu’il appellera à l’arbitrage d’un corps neutre ? Il l’a déjà fait savoir dans un précédent discours.

Un dirigeant, c’est nôtre cas, est commandant en chef des armées, il a les moyens de répressions à sa disposition. La confrontation étant devenue irrémédiable, que risque le pays ? Une instabilité généralisée qui donnerait l’occasion aux militaires de reprendre le pouvoir pour le bien du peuple pris en otage par des factions politiques, pour l’enseignement des hommes qui ne tirent aucune leçon de leur passé et des errements d’autres peuples, et, pour le mal de la démocratique que ce pays ne connaît nulle part : ni dans les partis politiques, ni dans les mosquées, ni dans la vie quotidienne de ses citoyens.

Comment peut-on dire à quelqu’un qui a régné sans partage à la tête de son parti, que devenu Président de la République, il doit se désaccoutumer du pouvoir à vie qui serait une guigne pour le peuple et une maladie de la démocratie qu’il n’a évoquée que pour accéder au pouvoir ?

Ibrahima SANOH

Citoyen guinéen

Président du Mouvement Patriotes Pour l’Alternance et le Salut.

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