En regardant dans le rétroviseur de notre passé, et en suivant de plus près l’actualité sociopolitique de notre pays, j’ai comme l’impression que nous tournons en rond depuis l’indépendance jusqu’à nos jours. C’est-à-dire en faisant un pas en avant et deux pas en arrière.
Cette situation humiliante et regrettable s’explique par le simple fait que nous soyons du jour au lendemain à la « croisée des chemins » : au lendemain d’une crise, c’est bien une autre qui refait surface. Et, ce cycle infernal de crise me fait penser à la malédiction de Sisyphe[1] dans la mythologie grecque.
En effet, « un homme nommé Sisyphe qui avait désobéi aux dieux. Il avait été condamné par ces derniers à pousser un énorme rocher jusqu’au sommet d’une montagne. Mais dès qu’il atteignait son but, le rocher retombait à nouveau jusqu’au pied de la montagne et il était obligé de recommencer. Et cela pendant toute l’éternité. Pourquoi une telle punition avait-elle été infligée à cet homme ? C’est parce que Sisyphe aimait rouler les dieux dans la farine.
Ainsi, lorsque Hadès, le dieu de la mort vint le chercher une première fois, Sisyphe s’arrangea pour passer à Hadès les menottes qui lui étaient destinées et échapper ainsi à la mort. Lorsqu’il finit par mourir, il réussit à convaincre les dieux de le laisser revenir à la vie, tout juste pour trois jours. Mais lorsque les dieux accédèrent à sa requête, il revint auprès de sa femme et ne voulut plus repartir au royaume des morts. A la fin, les dieux se fâchèrent et lui imposèrent la fameuse condamnation à pousser éternellement un rocher au sommet d’une montagne[2]». Au regard des nombreuses crises auxquelles nous faisons face tous les jours, je suis persuadé que nous subissons la même sentence.
Figurez-vous chers compatriotes, sous la première République, nous avions poussé le rocher sans lâcher prise. Nos muscles étaient tendus à cause du poids énorme et considérable du rocher sur nos épaules. Mais nous avions fait preuve de courage et d’abnégation. Certains parmi nos devanciers avaient payés au prix de leurs vies.
Durant vingt-six (26) ans de dur labeur, nous avions dénoncé avec vigueur la violation des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Grâce à nos efforts, nous avions réussi à pousser le rocher très haut sur la montagne. Nous n’étions pas au sommet certes, mais nous nous en approchions[3].
Cependant, en 1984, le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) a pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat au lendemain de la mort du Président Ahmed Sékou Touré. L’atmosphère qui régnait dans le pays était très vive ; nous avions eu le sentiment que le pays allait retrouver un nouveau souffle, un nouveau vent et une nouvelle ère. Une ère de la démocratie et de la liberté. Mais hélas, « la montagne a accouché d’une souris ! ». Par conséquent, nous avions laissé le rocher dégringoler jusqu’au pied de la montagne. Car, quelques années plus tard, après avoir été élu deux fois de suite lors des deux dernières élections pluralistes : 1993 et 1998 dont les résultats avaient été largement rejetés par l’opposition. Certains hauts cadres et proches du Président Lansana Conté en complicité avec une partie du peuple n’avaient pas manqué de nourrir bec et ongles les slogans comme : « ton pied mon pied » et le « koudéisme » dans le seul et l’unique but de promouvoir le référendum constitutionnel de 2001. Ce référendum largement remporté (98,4% des suffrages) par le Général Lansana Conté lui a permis de supprimer non seulement la limitation du nombre des mandats (Article 24 de la constitution du 23 décembre 1990), mais aussi la limite d’âge des candidats au scrutin présidentiel. Tant pis pour les conséquences !
Ce petit clan s’était in fine constitué en petite oligarchie auprès du Président Conté ; certains parmi eux se sont livrés aux pratiques malsaines comme : la corruption, le détournement des deniers publics, le pillage de nos ressources naturelles du sol et du sous-sol, le népotisme, le clientélisme, l’affairisme etc. Bref, le libéralisme économique et politique du Président s’était transformé en libéralisme sauvage : « laissez-allez, laissez-faire ».
En janvier-février 2007, nous avions encore repris notre rocher et, nous avions entrepris de le pousser à nouveau vers le sommet de ce que nous avons appelé : le départ des militaires au pouvoir. Nous [étions] là, l’épaule bien calée sous le rocher, nos muscles tendus, la sueur dégoulinant de notre front[4].
Un an plus tard, plus précisément le 24 décembre 2008, le capitaine de la junte militaire Moussa Dadis Camara, président du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) a pris le pouvoir « dans la rue », disent-ils, au lendemain de la mort du Général Lansana Conté.
Pour pousser le rocher plus haut, la classe politique, les syndicalistes et les organisations de la société civile y compris une grande majorité du peuple avaient créé un organe appelé « les force vives de la Nation ». Naturellement, les adversaires d’hier étaient devenus des partenaires stratégiques avec pour objectif : la fin du règne des militaires. Mais à quel prix ? C’est sans doute la journée sombre du 28 septembre 2009 au stade du même nom qui avait coûté la vie à des centaines de nos compatriotes, sans compter les femmes violées et violentées par les forces de l’ordre et de défense. Un autre évènement plus d’autres qui resteront à jamais gravés dans les annales de notre histoire !
Ainsi, au terme d’une longue transition dirigée successivement par Capitaine Moussa Dadis Camara, et le Général Sékouba Konaté, « un premier Président civil avait été démocratiquement élu en 2010 », comme disent certains.
En effet, avec lui, nous étions à quelques mètres du sommet de la montagne. Nous étions à un niveau de la montagne appelé : « la Guinée is back » ; c’est-à-dire, la Guinée est de retour. Fut-il un retour sur la scène internationale ou à nos vieilles pratiques malsaines ? A l’évidence, la deuxième hypothèse semble être la bonne, car nous sommes en train de préparer tous les arguments pour laisser le rocher chuter à nouveau.
Aujourd’hui, toutes les voies sont en train d’être explorées pour tordre le coup de notre système démocratique. Ces manœuvres visent justement les dispositions des articles 27 et 154 de la constitution du 07 mai 2010. L’histoire va-t-elle se répéter ? Oui.
Primo, dans une adresse à la Nation tenue le jeudi, 19 décembre 2019, le Président de la République a affiché son intention de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution.
Connaissant le parcours politique de l’homme et son narcissisme atypique, plus rien ne semble l’arrêter dans la poursuite de son aventure. Une aventure qui est non seulement risquée pour sa propre personne, mais aussi et surtout pour la stabilité de notre pays.
Secundo, la classe politique et une partie de la société civile réunies dans un ensemble appelé le Front National pour la Défense de Constitution (FNDC) a depuis plus de six (6) mois engagé des opérations de plusieurs natures : les marches et la ‘’résistance active et permanente’’. Pour l’heure, nous sommes à plus de trente (30) morts sans compter les dégâts matériels.
Par ailleurs, l’opposition dans grande majorité a décidé de boycotter les législatives du 16 février 2020. Elle estime que le scrutin est dore et déjà entaché de fraudes et d’irrégularités notoires parmi lesquelles on peut citer : l’enrôlement des mineurs, les cas de doublons, la violation du code électoral etc.
Mouvance présidentielle et opposition républicaine ou plurielle, chacun des deux camps veut en découdre avec l’autre. Toutes les positions sont dore et déjà figées. Les protagonistes et antagonistes du projet de nouvelle Constitution sont aujourd’hui dans une logique de radicalisation. Par conséquent, les tensions montent en crescendo. Les discours populistes et va-t-en-guerre ont pris d’assaut les réseaux sociaux et toutes les autres plateformes de communication : radios, télévisions et presse en ligne ou écrite. La paix est sérieusement menacée par les ‘’prophètes’’ de la violence.
Or, si rien n’est fait, le rocher quant à lui est en train de dégringoler à grand pas. Cette fois-ci, soyons rassuré qu’il tombera dans la forêt d’Amazonie, et il nous faudra encore des années et des années pour qu’il en arrive au sommet de la montagne ; il en sera toujours ainsi, tant que nous aurons des hommes et des femmes politiques pour qui les principes et la morale n’existeront pas, et dont le principal moteur sera l’intérêt personnel.
Aly Souleymane CAMARA
Etudiant en Master Science Politique à l’Université Général Lansana conté de Sonfonia
Email : [email protected]