« Je déteste les victimes quand elles respectent leurs bourreaux.»
Jean-Paul Sartre (Les Séquestrés d’Altona).
Qui a plongé la Guinée dans ce gouffre sans fond ? Les Guinéens et personne d’autre ! Et d’abord, leurs dirigeants, ces individus sans cœur, sans cervelle et sans âme qui ont transformé ce paradis naturel en enfer artificiel.
Qui nous a conduits-là sinon, ces méprisables aliborons, leur animosité et leur mauvaise foi ? Pourquoi mon dieu, démolir brique après brique, la maison du père avec la brutale persévérance d’un envahisseur venu de loin ?
Que reste-il de nous ? Rien, même plus l’honneur !
Quand on regarde nos villes en ruine, on se dit que c’est ici qu’il y a eu la guerre : pas à Abidjan, pas à Freetown, pas à Monrovia, même pas à Alep ou à Kaboul ! D’où sortent ces hordes de mendiants, ces femmes épouvantées, ces gamins en guenilles mordus par les rats ? Pas du Kivu, pas de l’Ituri, pas du Sud-Soudan, pas du Bengladesh, même pas d’un film d’horreur ! De la Guinée, le plus beau pays d’Afrique de l’Ouest, celui qui détient les deux-tiers des réserves mondiales de bauxite, qui offre chaque année 3 000 milliards de mètres-cubes d’eau à ses voisins.
Mais comment en est-on arrivé là ? Comment se fait-il qu’on dénombre près de 4 000 000 de Guinéens au Sénégal et à peine 6 500 Sénégalais en Guinée ? Comment se fait-il que les Guinéens se classent juste derrière les Afghans parmi les demandeurs d’asile de Bruxelles ?
« J’ai honte de diriger un pays qui ne mange pas à sa faim », disait Julius Nyerere. Et vous, dirigeants Guinéens, vous avez honte de quoi ?
Trois causes me semblent déterminantes dans notre interminable descente aux enfers : notre lâcheté collective, la barbarie de nos politiciens, l’opportunisme de nos cadres ! Trois causes perverses ! Trois causes dont l’effet interférentiel porte le pouvoir personnel -ce grand fléau de l’Afrique- à incandescence dans notre pauvre pays. Et que l’on ne me parle pas de fatalité : nulle part, la tyrannie n’est invincible ! D’ailleurs, nous avons plusieurs fois failli en venir à bout et hélas, à chaque fois, l’insondable fumisterie du Guinéen nous a ramené au point de départ.
En 1967, voyant venir les ambitions démesurées de Sékou Touré, Tounkara Jean-Faragué et quelques autres patriotes mirent celui- ci en minorité au Congrès de Foulaya en votant la séparation des pouvoirs : Sékou, président, Saïfoulaye, chef du parti. Sans la lâcheté de ce dernier, nous aurions évité le pouvoir absolu et ses corollaires : le camp Boiro et les pendaisons publiques. En 2007, alors que toutes les conditions étaient remplies pour un véritable envol démocratique, Lansana Conté ne sauva son pouvoir moribond que grâce à l’affligeante maladresse de nos syndicalistes. J’ai déjà évoqué dans ces colonnes, la catastrophique transition de 2010, qui, au lieu de la démocratie tant et tant rêvée, nous a offert un cinquième autocrate dont nous aurons le plus grand mal à nous défaire.
Que voulez-vous ? Civils ou militaires, les fonctionnaires guinéens ne servent ni un peuple ni un Etat. Ils servent, en échange de quelques miettes, la gloire éphémère des filous et des despotes. La Guinée entière peut crever, ils n’en ont rien à cirer !
Le patriotisme pour eux, c’est juste le prix du bourakhé.
Par Tierno Monénembo, in Le Lynx